Passionnée d’histoire et amoureuse des pierres, Marine-Alice Poizot incarne une nouvelle génération de gestionnaires du patrimoine. Directrice d’exploitation du château de Murol, joyau médiéval perché sur un piton volcanique auvergnat, elle raconte son parcours atypique, ses premières émotions face au site, et la vision vivante qu’elle porte pour faire rayonner ce lieu emblématique. Rencontre avec une directrice d’exploitation déterminée à conjuguer transmission, innovation et enracinement.
Par LVDA
Passionnée d’histoire et amoureuse des pierres, Marine-Alice Poizot incarne une nouvelle génération de gestionnaires du patrimoine. Directrice d’exploitation du château de Murol, joyau médiéval perché sur un piton volcanique auvergnat, elle raconte son parcours atypique, ses premières émotions face au site, et la vision vivante qu’elle porte pour faire rayonner ce lieu emblématique. Rencontre avec une directrice d’exploitation déterminée à conjuguer transmission, innovation et enracinement.
Pour ma part, tout est parti d’une passion ancienne. Depuis l’enfance, j’ai toujours été fascinée par l’histoire de France et son patrimoine, notamment les châteaux. J’aurais volontiers poursuivi des études d’histoire, mais ma mémoire me jouait des tours, et j’ai rapidement compris que cette voie ne me correspondrait pas pleinement. Je me suis alors orientée vers une formation en école de commerce, avec une idée en tête : me rapprocher autrement des lieux patrimoniaux qui m’avaient toujours attirée.
Les châteaux, pour moi, représentaient à la fois un rêve et un défi. Quelque chose de presque inaccessible, et c’est justement ce qui me plaisait. J’ai eu la chance de commencer ma carrière au château de Versailles, une expérience marquante, presque irréelle. C’était, à mes yeux, l’incarnation d’un rêve. Mais j’y ai aussi découvert les limites de la gestion publique, que je trouve parfois trop rigide, trop lente. J’ai besoin de rythme, de réactivité, de projets qui avancent.
Par la suite, j’ai travaillé à Lyon, tout en gardant un lien avec le monde des sites patrimoniaux. Lors de mes études, j’avais déjà collaboré avec la société Kléber Rossillon, spécialisée dans la gestion de lieux historiques et culturels. Lorsque cette même société a remporté la délégation de service public pour le château de Murol, elle m’a recontactée. C’est ainsi que j’ai intégré l’équipe, avec l’opportunité unique de diriger ce site exceptionnel.
Absolument. C’est même un souvenir très marquant. À l’époque, je ne connaissais ni la région, ni le site. On m’avait parlé d’un projet enthousiasmant, on m’avait dit : “Va voir. Si ça te parle, on en reparle.” J’ai pris ma voiture sur un coup de tête, un peu comme on part à l’aventure.
Je suis arrivée par Clermont-Ferrand, et en approchant de Murol, je trouvais étrange de ne pas encore apercevoir le château. Pour moi, un château, ça se voit de loin, surtout quand il est perché. Et puis, en passant un col, je l’ai soudain aperçu. Le choc visuel a été immédiat. J’ai su, à ce moment-là, que quelque chose d’important venait de se passer. Cette première émotion ne m’a jamais quittée.
C’est un site spectaculaire, dans tous les sens du terme. Son implantation au sommet d’un piton volcanique lui confère une aura unique, presque théâtrale. Mais au-delà de l’image de carte postale, c’est un lieu profondément vivant. Il incarne parfaitement ce que beaucoup de visiteurs imaginent d’un château fort : une architecture authentique, des pierres qui racontent, un panorama grandiose, et une histoire qui interpelle.
Le principal enjeu, c’est de faire vivre le site au présent sans trahir son passé. Il ne s’agit pas simplement d’ouvrir des portes et de faire visiter. Il faut raconter, mettre en scène, transmettre. Chaque année, nous accueillons près de 200 000 visiteurs. Cela demande un haut niveau d’exigence, une organisation solide, et surtout, une capacité à se renouveler.
Nous avons la chance d’avoir un public fidèle, curieux, enthousiaste. Nous essayons donc, chaque saison, d’apporter de la nouveauté : nouvelles scénographies, animations repensées, spectacles retravaillés. Cela crée une dynamique, pour l’équipe comme pour les visiteurs.
Un autre enjeu fort, c’est la conservation. Le château est une propriété municipale, donc la restauration dépend de la collectivité. Certains éléments nécessitent une intervention – stabiliser, consolider, préserver. Mais on ne reconstruit pas à l’aveugle : une seule gravure du logis Renaissance ne saurait justifier une reconstitution. Il faut accepter la part d’incertitude, et faire confiance aux garde-fous qui protègent l’authenticité du lieu.
Nous avons un tissu local extrêmement riche et actif. La communauté de communes du Sancy est engagée, les hébergements sont nombreux et proches, les relations avec les entreprises et les associations sont fluides. Le lien avec les habitants, notamment les Murollets, est fort, presque intime. C’est leur château. Ils y sont attachés, et je respecte profondément ce lien affectif.
Mais en tant que site de portée nationale, nous avons aussi la responsabilité d’accueillir bien au-delà de la commune. Il faut conjuguer ancrage local et rayonnement large. C’est une question d’équilibre.
Nous travaillons également avec d’autres châteaux, au sein de la Route Historique des Châteaux d’Auvergne. Certains ne sont ouverts qu’occasionnellement, d’autres sont gérés de manière professionnelle. Nous les soutenons autant que possible, car nous croyons à une dynamique de réseau. Ce n’est pas la concurrence qui nous fait grandir, mais la coopération.
Je suis convaincue qu’il faut vulgariser l’histoire dans le bon sens du terme. La rendre vivante, accessible, mémorable. L’histoire n’est pas un empilement de dates, c’est un récit collectif, un miroir des sociétés. Quand un enfant repart en ayant appris une chose, une seule, c’est déjà une victoire.
Nous n’édulcorons pas les faits. Le Moyen Âge, c’est aussi la brutalité, la rudesse, l’inconfort. Mais c’est fascinant. Et ça parle aux visiteurs. On leur raconte les sièges, les coutumes, les erreurs stratégiques – comme à Azincourt. Ils adorent. Parce que l’histoire, quand elle est bien racontée, devient une aventure.
Les jeunes générations cherchent du sens. Depuis la crise sanitaire, on voit un retour fort à l’essentiel, au local, au patrimoine. Les châteaux sont redevenus des repères, des lieux de transmission. Et à nous de les faire vibrer.
Le matin, sans hésiter. Depuis la basse-cour, face au massif du Sancy baigné de lumière. C’est toujours le même émerveillement. Un bureau avec vue, hors du commun.
Je l’imagine comme un chevalier. Fier, enraciné, protecteur, parfois un peu hautain dans sa posture, mais toujours bienveillant. Un chevalier de son terroir.
Celle du château : “Murol en avant, sans rompre les redortes.” Avancer avec conviction, sans briser les liens. C’est exactement notre mission ici : faire évoluer le site, sans jamais le dénaturer.
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