Le numérique, souvent perçu comme immatériel, cache une empreinte écologique croissante. Entre la fabrication d’appareils, la consommation énergétique des centres de données et la transmission des informations, le secteur représente environ 3 à 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, surpassant l’aviation civile. Face à cette réalité, la sobriété numérique émerge comme une solution pour limiter l’impact environnemental, en optimisant les technologies et en adoptant des pratiques plus responsables.
Par LVDA
Le numérique, souvent perçu comme immatériel, cache une empreinte écologique croissante. Entre la fabrication d’appareils, la consommation énergétique des centres de données et la transmission des informations, le secteur représente environ 3 à 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, surpassant l’aviation civile. Face à cette réalité, la sobriété numérique émerge comme une solution pour limiter l’impact environnemental, en optimisant les technologies et en adoptant des pratiques plus responsables.
Le numérique est souvent perçu comme immatériel, mais il a une empreinte écologique bien réelle et en forte croissance. Entre la fabrication des équipements (serveurs, smartphones, antennes) et la consommation électrique des centres de données et réseaux, le secteur numérique représente aujourd’hui environ 3 à 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (source : arcep.fr), soit davantage que l’aviation civile. Sans action, cette part pourrait doubler d’ici 2025 et atteindre 6 à 8% à l’horizon 2030 selon certaines études. Face à ce constat, la notion de sobriété numérique a émergé : il s’agit d’adopter des pratiques et des technologies qui limitent la consommation d’énergie et de ressources du numérique. Par exemple, concevoir des sites web ou des applications légères, qui requièrent moins de transfert de données, réduit immédiatement l’empreinte carbone du visionnage. Encourager la réparation et l’allongement de la durée de vie des appareils est un autre levier majeur : utiliser un smartphone pendant 5 ans au lieu de le remplacer tous les 2-3 ans diminue son bilan carbone d’environ 30%, car on évite de produire un nouvel appareil (la fabrication concentrant 70 à 80% de l’empreinte totale d’un téléphone. Dans cette optique, des initiatives voient le jour, comme l’indice de réparabilité en France qui informe le consommateur sur la facilité de réparer un produit high-tech, ou le succès grandissant de téléphones modulaires et éthiques comme le Fairphone, conçu pour durer 8 à 10 ans.
Les acteurs du numérique eux-mêmes commencent à verdir leurs pratiques. Les géants du cloud investissent dans des data centers écologiques : alimentés à 100% par des énergies renouvelables (solaire, éolien, hydroélectricité), ces centres informatiques optimisent aussi le refroidissement (en Suède ou en Islande, certains sont refroidis par l’air extérieur froid ou réutilisent la chaleur dissipée pour chauffer des bâtiments voisins). Par ailleurs, des progrès sont réalisés sur l’efficacité énergétique des réseaux (la 5G, bien que consommatrice à l’échelle globale du fait du volume de données accru, dépense moins d’énergie par gigabit transmis que la 4G). Mais ces gains techniques sont pour l’instant éclipsés par l’explosion des usages numériques : trafic Internet en hausse de ~25% par an, multiplication des objets connectés, essor du streaming vidéo haute définition, etc. Cette croissance de ~9% par an de la consommation d’énergie du numérique est jugée insoutenable si elle se poursuit ainsi (source : theshiftproject.org). D’où l’importance de promouvoir un usage raisonnable : par exemple, éviter de laisser tourner en permanence des vidéos en arrière-plan, désactiver les autoplay, nettoyer régulièrement ses e-mails et fichiers stockés dans le cloud pour libérer de l’espace inutile occupé sur des serveurs. Chaque geste compte pour maîtriser l’empreinte invisible du numérique.
En réponse aux excès du tout-numérique, le mouvement low-tech prône des technologies simples, robustes et économes, privilégiant les besoins essentiels sur les fonctionnalités gadgets. Cela ne signifie pas un rejet de la modernité, mais une recherche de solutions techniques plus durables et résilientes. Par exemple, plutôt que d’équiper systématiquement tous les objets de puces et de les rendre dépendants d’infrastructures complexes, la low-tech va inciter à choisir un dispositif mécanique ou analogique fiable si cela suffit. Dans un logement, une simple VMC (ventilation mécanique contrôlée) passive peut parfois remplacer un système connecté sophistiqué pour assurer un air sain. De même, un vélo classique offre une mobilité douce sans électronique embarquée, là où un vélo électrique high-tech demande des batteries et des composants supplémentaires. L’objectif est de limiter la consommation de ressources rares et l’énergie grise, tout en facilitant la réparabilité et le recyclage.
Les entreprises commencent à intégrer ces principes de conception durable. Éco-concevoir un service numérique, par exemple, c’est optimiser son code pour qu’il consomme le moins possible en calcul et en transfert de données, c’est aussi s’assurer qu’il restera compatible avec de vieux appareils pour éviter l’obsolescence programmée logicielle. Sur le matériel, on observe un frémissement pour des appareils plus modulaires : certains laptops professionnels permettent de changer facilement la batterie ou le stockage, et on voit apparaître des labels « durable IT » valorisant la longévité. Des startups innovent en proposant des objets électroniques low-tech : Fairphone (déjà cité) pour les smartphones, mais aussi des modules domotiques ouverts et standards que l’on peut réparer, ou encore des méthodes pour recycler localement des plastiques en filament d’imprimante 3D (plutôt que d’importer des consommables neufs). Le Low-tech Lab, un collectif français, documente et diffuse de nombreuses solutions (chauffe-eau solaire DIY, ordinateur reconditionné sous logiciel libre peu énergivore, etc.) afin que chacun puisse adopter des technologies plus sobres.
Cette approche low-tech va de pair avec une réflexion sur nos réels besoins. A-t-on besoin d’un frigidaire connecté pour conserver ses aliments, ou vaut-il mieux un réfrigérateur classique de classe énergétique A+++ ? Faut-il absolument renouveler son smartphone chaque année, ou peut-on simplement changer la batterie et attendre 4-5 ans ? En privilégiant la fonctionnalité durable sur la nouveauté à tout prix, on réduit non seulement l’impact écologique, mais souvent on gagne en fiabilité. Le numérique responsable, c’est finalement de remettre de la raison dans nos usages technologiques : choisir la bonne échelle technologique pour le bon usage. Dans certains cas, la haute technologie sera indispensable (par exemple pour surveiller la qualité de l’air urbain en continu, on aura recours à des capteurs IoT sophistiqués), mais dans d’autres, une solution locale et simple sera préférable (un bâtiment bien isolé et bien conçu aura moins besoin de capteurs pour gérer sa température). Cette complémentarité entre high-tech raisonnée et low-tech assumée dessine un futur où l’innovation ne rime plus avec gaspillage.
Un futur numérique éthique et responsable passe également par la question cruciale de la souveraineté numérique et de la protection des données personnelles. Aujourd’hui, une poignée de grandes entreprises (les Big Tech) contrôle une large part des services en ligne et des infrastructures – qu’il s’agisse des câbles sous-marins, des plateformes de cloud, des systèmes d’exploitation de nos téléphones ou des réseaux sociaux (source : lebondigital.com). Cette concentration pose à la fois des enjeux démocratiques, économiques et environnementaux. Sur le plan éthique, cela peut conduire à une exploitation massive des données personnelles à des fins publicitaires ou politiques, sans transparence pour l’utilisateur. Sur le plan environnemental, ces acteurs dominants peuvent imposer des modèles gourmands en ressources (par exemple la lecture automatique de vidéos sur les réseaux sociaux, visant à capter l’attention au détriment de la sobriété). Reconquérir une souveraineté numérique, c’est permettre à chaque pays ou région de garder la maîtrise sur ses infrastructures critiques et sur les données de ses citoyens. L’Europe s’engage dans cette voie via des initiatives comme le projet Gaia-X (cloud européen fédéré) ou en imposant des réglementations strictes (RGPD pour les données personnelles, futur Digital Services Act pour encadrer les grandes plateformes).
La protection des données est intimement liée à la notion de numérique responsable. Les citoyens prennent conscience que leurs informations personnelles (localisation, historiques, photos…) ont de la valeur et qu’elles doivent être traitées de manière éthique. Un futur plus responsable verra sans doute se généraliser le chiffrement des données, le contrôle donné à l’utilisateur sur ce qu’il partage, et le développement de services alternatifs, décentralisés, misant sur le respect de la vie privée. Par exemple, l’essor des messageries sécurisées (Signal, Threema…) ou des moteurs de recherche respectueux (Qwant, DuckDuckGo) montre qu’il existe une demande pour des outils numériques alignés avec des valeurs éthiques. De même, les données urbaines – cruciales pour les villes intelligentes – pourraient être gérées par des plateformes publiques open source, évitant le monopole d’une entreprise privée et garantissant que les données servent l’intérêt général (mobilité, énergie…) tout en étant correctement anonymisées.
Enfin, sobriété rime aussi avec modération dans nos usages numériques du point de vue social. La surconsommation de numérique peut avoir des impacts négatifs : addiction aux écrans, désinformation virale, atteintes à la santé mentale. Un futur numérique éthique implique d’éduquer aux bons usages, de réguler les excès (par exemple en limitant le design manipulateur des applications qui piège l’attention) et de promouvoir un numérique au service de l’humain. Cela peut passer par des chartes éthiques dans les entreprises du numérique, par des fonctionnalités de bien-être numérique intégrées aux OS (temps d’écran, modes « pause ») ou par une plus grande valorisation des interactions réelles sur les virtuelles. En ce sens, le concept de sobriété numérique dépasse la seule écologie et touche à la qualité de vie globale. Un numérique moins intrusif, plus respectueux de notre planète et de nos données, c’est un numérique soutenable dans lequel chacun peut avoir confiance. En conjuguant innovation technologique, modération des usages et gouvernance démocratique des données, nous pouvons aller vers un futur digital à la fois performant, éthique et responsable.
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